Vie de Sainte Clotilde
Nous avons déjà fêté le quinzième centenaire de la naissance de sainte Clotilde dont le souvenir s'efface de plus en plus bien que la France et l'Occident lui doivent beaucoup.
Souvenons-nous: il y a un siècle à peine, il y a même encore une cinquantaine d'années, la conversion de Clovis au catholicisme et le "baptême de la nation française" dont parlait encore Pie XI, n'étaient pas un des moindres thèmes pieusement usités pour chanter la gloire de la "Fille aînée de l'Eglise".
L'histoire telle qu'on l'écrit aujourd'hui semble se tenir à distance de ces faits comme elle le ferait d'un merveilleux proche du légendaire. Nous ne lui reprocherions pas de refréner les trop faciles élans qui, en de nombreux écrits ou discours d'autrefois, recouvraient ces réalités de dévotieuses hyperboles, si par un mouvement contraire, la recherche d'analyses et de précisions - dont nous ne lui ferons pas grief - ne laissait dans l'ombre la vraie figure de l'événement.
Assurément, elle a raison de s'attacher à la découverte de tout ce que le déroulement des faits peut et doit apporter à la connaissance de cette époque ...
Clotilde, Reine des Francs
Après la chute de l'Empire, les nouveaux venus qui s'y sont introduits: Burgondes, Wisigoths, Alamans, Saliens et Ripuaires ont dépecé la Gaule; leurs chefs s'en disputant les morceaux y ont installé leur anarchie politique qu'alimentent des guerres, des pillages, des assassinats. Eh oui! Clovis parmi d'autres chefs francs n'avait au début ni plus de puissance ni un plus grand royaume. Mais sa réussite n'est-elle due, comme on exagère à le dire, qu'à son intelligence, ses ruses, ses astuces et le génial coup d'œil qui lui aurait fait froidement rechercher la faveur des évêques? N'a-t-il vraiment rien apporté à l'unité française parce que son royaume fut, selon la coutume germanique, partagé à sa mort entre ses enfants ?
La vraie figure de l'événement ne se réduit pas à la suite des détails qui le composent. En 507, le royaume franc, celui-là même qui sous-tend au départ l'individualité de la nation française, s'étend de Tournai aux Pyrénées, tandis que le Lyonnais et la Provence en sont sinon parties intégrantes, du moins tributaires. Voilà une première constatation majeure qui se rapporte à l'unité du territoire.
Une seconde, c'est cette quasi-unanimité des évêques autour du seul roi catholique d'alors, unanimité qui renforce et maintient l'unité spirituelle des peuples franc et gallo-romain réunis sur le même sol.
Un troisième fait, et qui ne manque pas de poids malgré les apparences, c'est le titre de consul donné à Clovis par l'empereur d'Orient. Sans doute ce diplôme, envoyé au roi des Francs par le Basileus désireux de sien ménager l'amitié, n'a-t-il par lui-même qu'une mince valeur diplomatique. Mais il en avait une autre aux yeux des populations gallo-romaines sensibles aux traditions impériales et latines: pour elles, il légalisait et illustrait l'autorité du nouveau roi ainsi que l'unité culturelle et civilisatrice qui allait et devait continuer.
Voilà trois éléments dont il ne faut pas négliger la synthèse déterminante de nos origines nationales et où la part de Clotilde est prépondérante.
C'est elle qui l'a converti. Sans doute Clovis, en l'épousant, pensait-il par cette alliance se ménager les Burgondes et surtout la sympathie des peuples catholiques sur lesquels il régnait. Mais il l'épousa bien pour elle-même, leur union ne se démentit pas, de sérieux témoignages nous ont dit la piété, la tendresse, les prières, les pénitences que s'imposait la jeune princesse sous les dehors de faste royal.
A l'enseignement de la Foi, elle joignait ses mérites que reconnaissait et admirait son époux. C'est à cela qu'est due la victoire de Tolbiac. Ce jour-là, l'enjeu entre Clovis et les Alamans, c'était la possession de la Gaule. Abandonné par ses dieux qu'il avait vainement invoqués bien sûr, mais se souvenant des leçons pressantes de la sainte qu'il chérissait, le "fier Sicambre" poussa le cri qui a traversé l'histoire et l'on est tenté de dire que sa victoire fut d'abord celle de Clotilde avant d'être la sienne.
Sa conversion lui gagna la confiance des évêques, qu’on a dit à tort recherchée par intérêt. Les témoignages n'autorisent guère cette partialité qui ne tient compte ni de la position unique de Clovis ni de l'immense prestige de Clotilde dans la catholicité. La vie chrétienne de la reine, ses œuvres pies suffisaient à attirer la bienveillance du clergé sur le couple royal. Se donnèrent alors à Clovis des villes de l'Armorique qui obéissaient à leurs prêtres et survint aussi une autre victoire où l'influence au moins indirecte de Clotilde a certainement eu sa part. Un autre roi barbare faisait peser depuis la Loire sur le sud de la Gaule le joug de l'arianisme, et les populations gallo-romaines acquises au catholicisme supportaient mal ses persécutions. Leurs évêques se tournaient naturellement vers le nouveau chef converti par la sainte. Clovis battit Alaric à Vouillé, repoussa les Wisigoths au-delà des Pyrénées et réalisa ainsi l'unité sans que ses victoires l'eussent entraîné, loin des crimes que la légende lui prête si généreusement, au-delà d'une clémence accordée à ses ennemis sous l’influence encore de la douce et sage Clotilde. Peut-on en douter?
Son meilleur historien - à notre avis Godefroy Kurth - nous a laissé d'elle une vie dépouillée des fables qui l'obscurcissaient mais où les événements politiques ne sont pas indépendants d'une sainteté d'autant plus haute qu'elle a grandi dans de très dures épreuves. Clotilde a vécu à la cour dans un milieu hybride, ou barbare encore, ou corrompu déjà par les douceurs toutes nouvelles de la civilisation gallo-romaine. A la décadence des mœurs s'ajoutaient des intrigues continuel les, qui en eussent dévoyé d'autres. Après la mort de Clovis, quittant la cour, elle se retira à Tours près du tombeau de saint Martin pour y vivre loin du monde dans la prière, les mortifications. Les pires malheurs que puisse éprouver une mère vinrent achever une vie que les douleurs n'avaient jamais manqué de visiter. C'est là, pendant son long veuvage, que la reine de France a atteint au sublime quand ses fils se déchiraient, s'entretuaient, assassinaient leurs neveux et que sa fille - Clotilde comme elle - succomba sous les persécutions que lui faisait subir Amalric, son mari arien.
Alors, partout, en tout, semblable à elle-même devant Dieu, réparant pour les coupables, réconfortant les victimes, priant pour tous, pansant les plaies, édifiante peuple, multipliant les fondations pieuses et charitables, nous ne pouvons nous garder en parlant d'elle de l'émotion perçant à travers ces paroles de Grégoire de Tours: "La reine Clotilde se comportait de manière à être honorée de tous. Ses aumônes étaient intarissables. Elle passait ses nuits dans les veilles; elle fut toujours un modèle de chasteté et de vertu. Avec une libéralité prévenante elle distribuait ses biens aux églises et aux monastères et pourvoyait les lieux saints de tout ce qui leur était nécessaire. On n'eût pas dit une reine, mais, à la lettre, une servante de Dieu. Fidèle à son service, elle ne se laissa pas séduire par la puissance royale de ses fils ni par les richesses et par l'ambition du siècle mais elle arriva à la grâce par l'humilité."
Elle mourut le 3 juin 545. Son corps quitta Tours en deuil accompagné par deux rois, ses fils, escorté tout au long de ce dernier voyage par les louanges et les regrets des foules jusqu'à Paris où l'accueillit saint Germain. On l'inhuma près de Clovis dans le sanctuaire maintenant disparu qu'ils avaient fait bâtir près du lieu où s'élève l'actuelle église de Saint-Etienne-du-Mont (rue Clovis). Elle y retrouva avec son époux la dépouille de son amie très chère que Paris lui avait donnée, que Paris, comme Clotilde, aimait de toute son âme et qui sera sa patronne: sainte Geneviève.
Mère, épouse, veuve admirable, Clotilde ouvre la voie à ces autres femmes qui, comme elle, ont introduit la sainteté sur le trône de France et dont la carrière s'est achevée comme la sienne dans l'ombre de la retraite ou du cloître, dans le silence de l'oraison, dans l'ultime sacrifice du cœur. Ainsi sainte Radegonde, sa belle-fille, reine de France aussi, qui édifie encore Poitiers où elle se retira; ainsi sainte Bathilde, reine de France encore, qui finit ses jours au couvent de Chelles établi dans la villa de Clotilde. Ne leur adjoindrons-nous pas cette reine d'Angleterre, sainte Ediltrude, venant mourir en ce couvent alors célèbre qui portait le nom et gardait la mémoire du petit-fils de Clotilde échappé au massacre, saint Cloud ? Quelle étonnante succession ! La grande histoire, pour être juste peut-elle se passer d'évoquer longuement cette extraordinaire suite de femmes et en premier lieu Clotilde qui portèrent sur le trône jusqu'à l'émouvante fidélité, jusqu'à l'héroïsme l'auréole de l'amour conjugal et maternel, de la sagesse politique et de la bienfaisance ? Constatons qu'elle se trouve toujours dans la nécessité d'expliquer les événements par les hommes qui y ont pris part. Elle ne manque pas, à ce titre, de s'étendre sur la vie des princes, des grands ministres, des personnages célèbres. Pourquoi ne fait-elle pas une large place, celle qui convient, à ces initiatrices authentiques de la patrie française au premier rang desquelles dans l'ordre du temps et du mérite Clotilde, reine de France? Celle-ci semble gêner un laïcisme invétéré qui suerait de honte s'il fallait parler des saints. Sa sainteté cependant a tout disposé à nos débuts, comme celle de Jeanne d'Arc a tout disposé pour notre relèvement.
Pierre VIRION
"Après qu'elle eût invoqué Dieu qui gouverne et sauve tout, Dieur changea l'esprit du roi."
Esther, XV, 5.