Pour une approche du culte de sainte Clotilde en France Les reliques conservées à Vivieres (Aisne)
par Francis DALLAIS • Pèlerinage national dimanche 17 mai 2018
L’histoire et l’hagiographie nous montrent Clovis comme le compagnon ordinaire des saints, tout au long de sa vie et de son règne. L’historiographie, à partir des XIVe et XVe siècles, à la vertu du chef franc, adjoignit un caractère religieux quasi monastique. De nombreux sanctuaires liés soit au roi des Francs, soit à des saints fondateurs qui eurent des rapports réels ou supposés avec lui, participèrent au développement de son culte, attesté à Moissac[1], au Dorat et à Tarascon. Le roi Louis XI procéda même à la « canonisation » officieuse de Clovis par une ordonnance donnée à Thouars en janvier 1481[2]. En réalité, la nation française n’avait pas à son origine un saint fondateur comme la Rùs de saint Vladimir ou la Hongrie de saint Etienne, en revanche, elle pouvait revendiquer aux côtés du roi fondateur du futur royaume franc la présence d’une femme exceptionnelle, la reine Clotilde, épouse de Clovis.
L’Evangélisatrice des trônes
L’importance historique de sainte Clotilde ne saurait donc nous échapper. Ne semblait-elle pas prédestinée, dès l’origine, par son adhésion à la foi orthodoxe, à faire passer « le sceptre de l’Occident aux mains de l’Eglise catholique et à assurer aux nouveaux convertis, pour une longue suite de siècles, un rang d’honneur dans les fastes de la civilisation » (G. Kurth) ? Après avoir conduit par son exemple, sa prière et son enseignement son époux païen – sans oublier bien sûr le rôle joué par les saints évêques Remi et Vaast – jusqu’à la foi trinitaire nicéenne et chalcédonienne et à la régénération baptismale, Clotilde, en sa descendance féminine, infligea aux royaumes lombard et wisigoth la plus éclatante défaite de l’hérésie arienne en Occident. En ce sens Clotilde apparaît bien comme la fondatrice de l’Europe chrétienne.
Qui ne se souvient de la lettre que saint Nizier, métropolitain de Trèves, adressa à Chlodoswinde en 565, fille de Clotaire Ier et épouse d’Alboin, roi des Lombards, lui présentant sa grand-mère Clotilde comme le modèle à imiter pour amener le roi à la foi catholique.
Mais aussi en ce VIe siècle, rappelons le souvenir d’Ingonde, petite-fille du même Clotaire Ier , qui, ayant converti le roi des Wisigoths (saint) Erménégilde, celui-ci s’étant allié à Constantinople, fut vaincu par son père, le roi Léovigild, et fait prisonnier. Erménégilde refusa d’abjurer sa foi orthodoxe et fut martyrisé à Tolède le jour de Pâques 586[3]. Son frère Récarède lui succéda. Grâce à sa conversion, le troisième concile de Tolède proclama à la face du monde que l’Espagne était devenue catholique.
L’Occident désormais catholique devait à des femmes, amoureuses de Dieu et de leurs époux, d’avoir brisé les chaînes du paganisme et défait « maille à maille le fil de l’hérésie arienne ».
La Vita sanctae Chrothildis
Il est aujourd’hui encore impossible de préciser, en l’état actuel de la question, quand fut reconnue la sainteté de Clotilde, d’autant qu’à l’instar des autres saints contemporains, elle ne fit pas l’objet d’un procès de canonisation en règle. Selon le témoignage de Grégoire de Tours, admis par tous, Clotilde mourut à Tours, où elle s’était retirée, près du tombeau de saint Martin, le 3 juin 544, d’où son corps fut transféré à Paris près de ceux de Clovis (†511) et de sainte Geneviève († vers 502), la vierge protectrice des corps royaux de la monarchie naissante en Gaule. Le récit de l’auteur de l’Historia Francorum constitue donc la première source sur la vie de sainte Clotilde. La seconde provient de la Vita sanctae Chrothildis, composée au milieu du Xe siècle, dont jusqu’à une époque récente, la critique pensait devoir attribuer l’écriture à un clerc de la région de Rouen. Dans un long article, Karl Ferdinand Werner, a apporté un éclairage nouveau sur l’auteur la Vita, qu’il a identifié. Il s’agit d’Adson de Montierender. L’ouvrage était destiné à la reine Gerberge[4], sœur de l’empereur Otton Ier, devenue veuve de Louis IV d’Outremer et mère d’un Lothaire pour l’inciter à mener une vie de veuve et de bienfaitrice des églises à l’instar de la reine Clotilde. Adson était fils d’un comte de Montbéliard, d’abord moine à l’abbaye de Luxeuil, et après un passage à Saint-Evre de Toul, on l’appela au monastère de Montier-en-Der pour enseigner avant de devenir tardivement abbé du lieu.
La rédaction de la Vita apparaît donc tardive. L’auteur, Adson, prétend même qu’aucun culte à sainte Clotilde n’existait avant la rédaction de sa biographie. Les circonstances dans lesquelles Adson s’est mis à l’ouvrage fournissent de précieuses indications sur la naissance ou le renouveau du culte clotildien. En effet, Adson y exalte la sainteté de l’épouse, de la mère et de la veuve modèle. Mais de l’épouse, il retient aussi la place privilégiée qu’elle occupa par la volonté de la Providence, au moment de la conversion et du baptême, auprès de son époux, le roi Clovis, Pour notre auteur, surtout, elle était devenue « la mère de tous les rois francs et empereurs romains ! ». Sans nul doute était affirmé là, la croyance que seuls les rois de Francia occidentalis aux noms royaux d’origine franque, ses descendants donc, avaient droit à l’héritage franc et à l’empire ». Adson apporte une réponse « mérovingo-carolingienne » et « franque » selon l’expression de K. F. Werner, à l’interprétation « saxonne » d’une volonté divine qui se serait manifestée par les récentes victoires ottoniennes[5].
Le culte liturgique
Peut-être devons-nous voir dans l’apparition de ce culte tardif la raison pour laquelle l’anniversaire de la mort de sainte Clotilde n’était pas commémoré dans la basilique parisienne des Saints-Apôtres devenue basilique Sainte-Geneviève, où elle avait été inhumée en 502, alors que Clovis bénéficiait d’un service célébré le 27 novembre, date anniversaire de sa mort, depuis le Xe siècle[6].
Les sources liturgiques apparaissent dans un bréviaire de l’église de Soissons datant du XIIIe siècle (antienne et oraison) ainsi que dans celui de son église sépulcrale de Paris au XVe siècle (au Sanctoral, les leçons des Matines sont un abrégé de la Vita). En 1737, Mgr de Rochechouart, évêque d’Evreux, inscrivit la fête de sainte Clotilde au propre du diocèse. Enfin, dans un bréviaire de Poitiers de 1765, on trouve l’office du commun des Saintes femmes avec une leçon historique et une oraison « présumée » plus ancienne : « Regarde, Dieu, avec bienveillance l’empire des Francs – expression typique de la Vita – ; de ceux auxquels, sur la pieuse insistance de Clotilde, Tu as fais don de la foi ; Oriente nos âmes vers une piété chrétienne sincère. »
Les reliques de Vivières
Nous savons tous la place que tenait la vénération des reliques dans la piété de l’homme du Moyen Age. Et pourtant, l’histoire a omis de conserver la date de l’élévation de celles de sainte Clotilde pour les transférer dans une châsse. Seules nous sont accessibles la description et la reproduction de la dernière châsse royale conservée à l’abbaye Sainte-Geneviève de Paris, réalisée dans le premier tiers du XVIe siècle, qu’ont publié les Bollandistes .dans les Acta Sanctorum (t. 1, juin [3 juin], p. 293). Nous sommes donc contraints à nous satisfaire des témoignages des vieux écrivains attestant la dévotion du peuple de Paris envers la reine des Francs. Les Parisiens se précipitaient en de longues processions derrière ses reliques et celles de sainte Geneviève chaque fois que le danger menaçait. Ainsi en fut-il souvent au cours des XVe et XVIe siècles.
Mais le culte clotildien n’est pas resté confiné dans la vieille capitale ; certaines provinces, elles aussi, manifestèrent souvent une grande dévotion envers sainte Clotilde. Le premier lieu qui retiendra notre attention est situé à l’orée de la belle forêt de Villers-Cotterêts, au village de Vivières dans l’Aisne. Aujourd’hui encore, on vient prier devant le chef, c'est-à-dire la tête de sainte Clotilde, dans la modeste église du diocèse de Soissons.
Vivières (Aisne)
Mais pourquoi à Vivières ? Sous le règne de Charles le Chauve, alors que les Normands ravageaient Paris, les Génofévains quittèrent leur abbaye afin de mettre à l’abri de l’envahisseur les reliques de sainte Geneviève. Une première fois d’abord, en 857, les chanoines se réfugièrent à Athis puis à Draveil sur des terres qui étaient en leur possession. Après le désastre, ils rentrèrent à Paris. Mais face à de nouvelles menaces, ils reprirent la route de l’exil. Après une halte alors estimée peu sûre, à Draveil, ils poursuivirent leur pérégrination vers Marizy-sur-Ourcq, près de Neuilly-Saint-Front où ils restèrent jusqu’en 872. L’authenticité des faits et de l’itinéraire des restes de sainte Geneviève a été établie par dom Dubois[7].
La châsse de sainte Clotilde, selon l’opinion commune des
historiens, fut déposée au château de Vivières à l’intérieur duquel se trouvait
une église paroissiale qui dépendait des chanoines réguliers de l’église
Ste-Geneviève de Paris. Une fois la tranquillité recouvrée, les Génovéfains
exigèrent le retour des reliques à Paris. On comprend aisément que les
chanoines de Vivières aient opposé une résistance farouche à leur restitution.
Il s’en suivit un partage des restes de la reine des Francs. Une partie du chef
royal et un bras restèrent à Vivières. Les Prémontrés succédèrent en 1121 aux
chanoines génovéfains à Vivières[8]. « L’établissement de Vivières prit de l’essor et
une bulle du pape Honorius II du 16février 1226 le cite parmi les « filles
de Prémontré en deuxième position derrière Saint-Martin de Laon », dans le
diocèse de Soissons. Mais en 1241, la communauté envisage de migrer de Vivières
vers un nouveau lieu, Val-secret (Valsery), dans la commune actuelle de
Coeuvres[9],
situé à deux lieues de Vivières. « L’installation définitive se fera en
1153, au moment où Yves, comte de Soissons par une charte, confirme au
monastère de Valsery tous les biens donnés à l’ancienne abbaye de Vivières. Le
premier des 37 abbés, Henri, meurt peu après avec une réputation de grande
sainteté. » Il avait laissé à Vivières quelques religieux pour desservir
l’église et accueillir les pèlerins[10].
Seule la tourmente révolutionnaire interrompit les pèlerinages à Vivières.
Lorsqu’après cet orage dévastateur la paix religieuse fut
rétablie, on songea à remettre à l’honneur le culte de sainte Clotilde. Une
suite d’actes de la chancellerie épiscopale de Soissons en conserve le souvenir
sous la cote : 4 G1 Vivières. Mon propos, ce soir, est de les parcourir
avec vous.
Un premier acte authentique daté du 3 juin 1845 atteste la présence d’une ancienne châsse dans laquelle se trouvaient « des reliques notables de sainte Clotilde et de sainte Ursule ». En effet, après avoir reçu l’autorisation écrite de Mgr Jules-François de Simony (1824-1847), évêque de Soissons et Laon, C. Delabarre, curé-archidiacre, en présence du clergé local, après s’ « être assuré de l’intégrité du sceau épiscopal de Mgr [Jean-Claude] Leblanc de Beaulieu (1802-1820), procéda à l’ouverture de la châsse et transféra [le contenu] dans une « nouvelle châsse de bois d’orme ladre, décorée de quelques filets de chêne, et de forme oblongue, garnie intérieurement de damas vert, fixée sur une tablette également oblongue et environnée de six colonnes d’ordre toscan, supportant un dôme du milieu duquel s’élève une lanterne en colonnettes de bois d’ébène, surmontée d’une couronne fermée qui se termine par une croix d’ébène ».
Ce même procès-verbal indique la liste des ossements dans leur nouveau réceptacle, à savoir : « [os] iliaque, humérus, tibia, sacrum, six vertèbres, calcaneum, péroné, radius, astragale, os du tarse, clavicule avec métacarpe, débris des côtes, d’humérus, et de cubitus, une première côte et quelques autres débris d’os logs. Avons laissé dans l’ancienne châsse pour n’avoir pu être renfermés dans la nouvelle deux fémurs, et les trois quart d’un humérus gauche, ainsi qu’un iliaque. » Après quoi le procès-verbal de la translation fut déposé dans la châsse nouvelle. Les deux châsses, la nouvelle et l’ancienne furent fermées à clef et l’abbé Debarre apposa sur l’entrée des serrures un ruban blanc et appliqua le sceau de Mgr de Simony en cire rouge.
Le 2 mars1932, Mgr Ernest-Victor Mennechet (1928-1946), a procédé à nouveau à la reconnaissance des reliques ci-dessus décrites, « retrouvées intactes après la grande guerre, sous le sceau de Mgr Péchenard (1906-1920). Il préleva dans ce précieux trésor deux vertèbres qu’il offrit à l’église de Neuilly-Saint-Front, après quoi, il apposa son sceau.
Mais un second reliquaire existait dans l’église de Vivières. Avec ce dernier nous allons pouvoir remonter le temps tant il nous révèle beaucoup sur l’histoire des reliques de sainte Clotilde.
Au cours de l’année 1865 le chanoine Henri Congnet, doyen du chapitre de la cathédrale de Soissons, fut désigné par l’évêque, Mgr Jean Pierre Jacques Armand Cicile Dours (1863-1876), pour reconnaître la portion de reliques de sainte Clotilde « enfermée dans un buste de femme fort ancien, servant de reliquaire et exposé de temps immémorial à la dévotion des fidèles dans l’église de Vivières », et que l’on venait d’extraire de sa cachette. Cette opération se déroula le 8 août 1865. Ayant brisé les sceaux et scié une portion arrière du buste, il y trouva :
« Premièrement, « une portion considérable d’une tête, comprenant tout le dessus du crâne, tout le frontal, jusqu’à la naissance du nez, l’orbite des yeux, les os entourant les deux conduits auditifs, deux temporaux, le pariétal, puis séparé de la tête, l’os supérieur de la mâchoire avec une dent, plus un petit os de la main ».
« Deuxièmement, un parchemin très précieux long de 14 centimètres, large de 8 centimètres, écriture du 13e siècle avec les débris d’un sceau en cire rouge, constatant une translation des reliques de sainte Clotilde faite par l’abbé de Valsery[11] et l’abbé et des chanoines de Lieu-Restauré, [de nos jours située sur la commune de Bonneuil-en Valois (Oise)]. » Le parchemin est daté de 1234, troisième jour des nones, à savoir, le samedi après l’Ascension, en la fête de sainte Clotilde, sous le pontificat de Grégoire IX et le règne du saint roi Louis IX. Nous sommes bien là en présence d’un acte authentique.
« Les auteurs qui ont écrit sur les reliques de sainte Clotilde sont d’accord pour affirmer que la tête de sainte Clotilde, n’a pas été rendue aux religieux de Sainte-Geneviève de Paris, mais qu’elle est restée à Vivières, où un pèlerinage s’est établi, a été fréquentée pendant les six derniers siècles et continue de l’être. » Il convient de noter à ce propos, qu’en 1641, le roi Louis XIII, désireux de posséder une parcelle de relique de sainte Clotilde fit ouvrir la châsse parisienne, et l’on constata alors que la tête manquait. « Si l’on considère les écrits des anciens auteurs rappelant que le corps de sainte Clotilde avait reposé dans la chapelle du château de Vivières, où il avait été mis à l’abri des invasions vikings, et que la communauté vint à embrasser la règle des Prémontrés vers le milieu du XIIe siècle, qu’on avait à cette occasion divisé en deux la partie des reliques conservées à Vivières, depuis la restitution d’une partie seulement du corps de sainte Clotilde aux Génofévains de Paris, il paraît logique de conclure que nous sommes là en présence du chef véritable de la reine des Francs, et qu’un pèlerinage s’est établi, a été fréquentée pendant les six derniers siècles et continue de l’être. » . Le parchemin relate donc bien le partage qui eut lieu sous le règne de saint Louis. Précisons encore qu’on peut voir dans un reliquaire moderne un radius (os de l’avant bras) de la reine dans l’église de Cœuvres qui reçut cet os royal provenant de Valsery, en 1793.
Le chanoine Congnet souligne d’autre part, que Mgr François de Fitz-James, évêque de Soissons entre 1739 et 1764, affirme que les dites reliques de Vivières « sont authentiques et qu’elles ont été conservées sans déplacement ni interruption jusqu’à la Révolution ». Durant cette dernière période, elles avaient été enfouies dans un local attenant à l’église. A l’occasion de la restauration du culte, M. Thomas, curé de Vivières les a reconnues avec tous les habitants du village. Dès les débuts de la période concordataire, Mgr Jean-Claude Leblanc de Beaulieu (1802-1820), les reconnut et les authentifia le 16 juin 1808.
Au terme de ces
considérations, M. le chanoine Congnet, déposa dans le buste les précieuses
reliques et le parchemin, et y adjoignit le procès verbal avant de le refermer.
A nouveau le 5 mai 1882, Mgr Odon Thibaudier, évêque de Soissons et Laon (1876-1889), ordonna l’ouverture du reliquaire en présence des prêtres et laïcs habitants du lieu. Après avoir constaté la présence des reliques et du parchemin de 1234 et les avoir « religieusement vénérées fit refermer le coffre de bois ».
Mais, ce n’est pas tout. A l’approche des célébrations du 14e centenaire du baptême de Clovis à Reims, dans une lettre adressée à ses fidèles[12], le Cardinal Benoît-Marie Langénieux (1874-1905), archevêque métropolitain de Reims, avait selon ses paroles « pris un soin empressé à présenter les reliques de sainte Clotilde dans la paroisse appelée communément Vivières au diocèse de Soissons jusqu’à ce qu’il nous fût permis, en vue de leur vénération, de les transférer dans notre église métropolitaine pendant la célébration solennelle du jubilé ». Selon ses vœux et avec la bienveillance de Mgr Jean-Baptiste Théodore Duval (1889-1897), évêque de Soissons, du curé de Vivières et l’accord de la de la fabrique, il accorda la « gracieuse autorisation » du transfert des « sacrées reliques de sainte Clotilde » en son église métropolitaine, dont il voulait « qu’elles soient exposées ». Avec une « foi indubitable » il atteste qu’en présence de l’évêque de Soissons, de ses vicaires généraux, et du curé de Vivières, l’abbé Watelet, il a fait ouvrir, en sa demeure « l’élégant buste féminin ». Reprenant alors à son compte tous les actes antérieurs d’inventaire et de reconnaissance des reliques de Vivières que nous avons étudiés ci-dessus, il écrit : « Nous les avons authentifiés et attestons qu’ils sont vrais. »
Par une « pieuse disposition » manifestant son culte pour sainte Clotilde, le Cardinal Langénieux décida de transférer les reliques contenues dans le fameux buste ainsi qu’une articulation retirée de l’autre châsse en bois d’orme, « afin qu’elles soient exposées d’une manière plus convenable et plus honorifique », répondant en cela à la demande des administrateurs de l’église de Vivières. Elles furent placées dans une nouvelle châsse dorée d’aurichalcum ou laiton, un alliage essentiellement composé de cuivre et de zinc, de style gothique et de forme carrée. Le chef de la sainte, la mâchoire supérieure avec une dent, une vertèbre et un os articulaire du pied. Le tout reposant sur un coussin de toile rouge. En outre, l’articulation du pied a été retranchée et divisée en trois parties, dont la plus grande part est restée dans la nouvelle châsse, tandis qu’une deuxième partie a été remise à Mgr Duval, et l’autre au curé de Vivières. Remarquons encore qu’une toute petite partie du sommet du crâne fut offerte à l’Eglise de Reims. Selon l’usage après la fermeture du reliquaire a été apposé le sceau archiépiscopal.
Il reste encore à préciser que, le 2 mars 1932, Mgr Mennechet, évêque de Soissons, tint à vérifier l’intégrité du contenu de la châsse offerte par le Cardinal Langénieux, châsse qui avait été mise en sûreté à l’Institut Catholique de Paris durant de la grande guerre par les soins de l’abbé Jumelle, curé de Vivières qui l’avait « sauvé presque au péril de sa vie » ainsi qu’il est précisé dans le n° 32 du samedi 9 août 1919 de la Semaine religieuse du diocèse de Soissons, Laon et Saint-Quentin, dans le n° 32 du samedi 9 août 1919, p. 341. Il constata qu’elle n’avait pas été violée, le sceau de Mgr Péchenard (1906-1920) ayant été retrouvé intact. Mgr Mennechet, brisa le sceau pour extraire une parcelle « unique, certes très petite » qu’il « a fait couper du maxillaire supérieur » pour le léguer à l’Institution Saint-Médard de Soissons et a fait « don des cendres du même os détaché de la mâchoire supérieure à l’église de Neuilly-saint-Front ».
Je souhaiterais vous dire quelques mots sur deux autres lieux de pèlerinage en l’honneur de sainte Clotilde
Les Andelys (Eure)
Un autre pèlerinage existait aussi aux Andelys (Eure). Pèlerinage très ancien lui aussi, car dans la Vita le nom des Andelys est mentionné en tant que lieu de fondation d’un monastère par Clotilde. L’attestation de ce monastère, nous est fournie par Bède le Vénérable (vers 672/673-735) au début du VIIIe siècle. Cette fondation paraît tout à fait vraisemblable. La Vita précise que la reine aurait fait construire une église attenante au monastère qui a été détruite vers la fin du IXe siècle ; vraisemblablement nous sommes en présence de l’église paroissiale Notre-Dame, sur l’emplacement de laquelle s’élève aujourd’hui la collégiale du même nom. Au milieu du XIXe siècle, Arcis de Caumont avait été intrigué par son plan décagonal, tout à fait inhabituel. En 1906, un érudit andelysien, Léon Coutil, fut autorisé à y pratiquer quelques sondages. Quoique les archéologues contemporains estiment qu’il faille prendre avec précaution les observations de Léon Coutil, tous semblent admettre que quelques-unes de ses informations méritent d’être retenues : la chapelle Ste-Clotilde résulterait de l’adjonction sur le bâtiment décagonal – dans lequel on pourrait voir un baptistère –, d’une abside sans doute du XIVe siècle, puis au XIXe, d’une petite nef, à l’Ouest. La forme générale de l’édifice primitif et la présence de tombes, dont les plus anciennes appartiennent à la fin du VIIe siècle, seraient l’indice d’une datation de haute-époque, et, (pourquoi pas ?), de la fondation du monastère.
A l’intérieur de l’église Notre-Dame on peut voir une partie du mobilier, la statuaire surtout, qui était conservée dans la chapelle Sainte-Clotilde. On doit signaler en particulier une belle statue de la pieuse reine, datant de la fin du XIVe siècle, l’une des plus anciennes représentations de la sainte dans la statuaire qui lui est consacrée. De magnifiques vitraux du XVIe siècle[13], restaurés en 1866, relatant les épisodes majeurs de sa vie de la collégiale sont visibles dans les premières chapelles du collatéral Sud.
Autrefois, un pèlerinage important réunissait des foules nombreuses aux Andelys. Les 2 et 3 juin, à l’occasion de la fête de sainte Clotilde, une procession solennelle escortait les reliques de la fondatrice vers une fontaine où, selon une tradition remontant au Xe siècle, l’eau avait été changée en vin par Clotilde pour apaiser la soif et la fatigue des ouvriers bâtisseurs du monastère.
Abordons maintenant, la présence de reliques de sainte Clotilde aux Andelys. Tout d’abord, dans la Vie de sainte Clotilde, publiée par Pierre Juge en 1588, il parle de reliques dont l’authenticité était établie dans les registres capitulaires. Sans doute est-ce ce reliquaire qui est représenté sur une des verrières dont nous parlions il y a quelques instants. Jacques Desmay, chanoine d’Ecouis, près des Andelys, affirme avoir offert au sanctuaire des Andelys une petite partie du crâne de la sainte. Il prétendait la tenir de l’abbesse de Notre-Dame-du-Trésor, près Ecos (Eure), qui l’avait reçue de l’évêque de Soissons. Peut-être que le don de 1612 correspond à la mâchoire inférieure du chef, cette portion n’étant pas mentionnée dans la description du procès-verbal de reconnaissance des reliques de Vivières dressé par le chanoine Congnet en 1865. Jusqu’à maintenant, il ne nous a pas été possible de retrouver les documents originaux sur ces deux translations. Néanmoins, la collégiale des Andelys conserve encore aujourd’hui un reliquaire réalisé en 1805 contenant une côte royale obtenue en 1655 des Génofévains de Paris. Les Archives de la Seine-Maritime détiennent une copie de l’acte de donation et de translation de ladite côte de l’abbaye Sainte-Geneviève au Grand-Andely, daté du 25 juin 1655[14].
Il reste à signaler que la Haute-Normandie a manifesté une dévotion importante à l’endroit de sainte Clotilde en plus de cent lieux – nous en avons visité beaucoup : chapelles, autels dédiés, reliques, bannières, vitraux et fontaines miraculeuses, qui se rattachent à cette dévotion. Le recensement en cours révèle un culte assez tardif. La majeure partie des statues date des XVIIe et XVIIIe siècles, voir du XIXe, comme pour les bannières et certaines confréries. Il est bien difficile d’expliquer l’importance de ce culte en l’état actuel de nos recherches.
On trouvera en annexe la liste des lieux où nous avons trouvé des indices de culte envers la sainte reine en Haute-Normandie. Beaucoup d’entre eux soulèvent encore bien des questions objet de nos recherches.
Chambourcy (Yvelines)
La paroisse Ste-Clotilde de Chambourcy est aujourd’hui dépositaire de reliques de sainte Clotilde en provenance de l’abbaye de Joyenval, fondée en 1221 par Barthélemy de Roye, exécuteur testamentaire du roi Philippe II Auguste, mais aussi chambrier de celui-ci. Or, c’est à Joyenval que la légende situe la naissance des fleurs de lis de France révélée à un pieux ermite qui confia à Clotilde le blason fleurdelisé, en lieu et place de celui aux trois crapauds, afin de le remettre à Clovis, son royal époux.[15] La présence de reliques de sainte Clotilde en ce lieu paraîtrait donc assez logique. Et pourtant ! L’examen attentif des différentes translations, consignées dans les actes d’inventaires des reliquaires, permet de constater que jamais il n’est fait mention de celui de sainte Clotilde. Il faut attendre la suppression de l’abbaye en 1791 et le « transfert de la « châsse de sainte Clotilde » dans l’église de Chambourcy par les soins de M. Terrier, maire de la commune, pour entendre parler pour la première fois de ces reliques. La châsse d’argent resta suspendue dans l’église jusqu’en 1793 où les révolutionnaires s’en emparèrent. Les ossements furent sauvés par le maire qui les enferma dans un sac de toile qu’il cousit, scella de son sceau et les cacha. En 1837 les reliques furent à nouveau placées dans une nouvelle châsse dont on retira une rotule de genou gauche en 1863 pour la nouvelle basilique parisienne de la rue las Cases, authentifiée par le cardinal Morlot[16]. Mais il convient de poser ici un point d’interrogation quant à l’authenticité des reliques de Chambourcy, en l’absence de documents permettant de conclure objectivement sur leur présence antérieure à Joyenval.
En guise de conclusion
Mais revenons à Vivières. Arrivé au terme de cet exposé, j’aimerai vous conter brièvement les circonstances dans lesquelles je me suis rendu à Vivières pour la première fois. C’était dans le cadre de mes premières recherches sur les reliques de sainte Clotilde et l’histoire de con culte en France. Il y a de cela une vingtaine d’années, alors que je venais de terminer la rédaction d’un ouvrage sur Clovis à l’occasion du quinzième centenaire de son baptême. Après un moment de prière devant les reliques de sainte Clotilde, j’ai procédé à une brève inspection des lieux. Il y avait dans l’église deux reliquaires : celui du chef royal, le même que celui que nous honorons aujourd’hui, dû à la munificence et la piété du cardinal Langénieux, et le premier dont je vous ai entretenu, en bois d’orme ladre. Heureux, d’être là, oui, mais avec un immense regret de ne pas trouver le fameux buste reliquaire. C’est en entrant dans la sacristie que j’aperçus, posée négligemment sur le sol, le vieux buste de sainte Clotilde proche d’une gouttière et à proximité d’une anfractuosité provoquée par une très grosse racine adventice d’un lierre qui déstabilisait le mur. Poussé par un sentiment d’indignation, je déplaçai l’insigne objet et le déposai sur un meuble, bien décidé à intervenir pour sa sauvegarde. En rendant la clef de l’église à M. et Mme Somény qui m’avait accueilli si aimablement et surtout m’avait fait confiance, je me suis ouvert auprès d’eux de mon incompréhension en face de tant de désinvolture. Nous eûmes une bonne et longue discussion. Avant de partir, ils m’offrirent trois cartes postales anciennes des reliquaires et de l’église que je conserve précieusement. Je garde de ces moments un souvenir ému. Si je suis parmi vous aujourd’hui, je leur en suis quelque peu redevable et tiens ici à leur rendre un chaleureux et amical hommage.
ANNEXES : Liste des lieux liés au culte en de sainte Clotilde en Haute-Normandie
Département de l’Eure
Andelys (Les), Beauficel, Bosbénard-Créscy, Bourg-Achard, Bourgtheroulde, Bourneville, Breux-sur-Avre, Bus-Saint-Rémy, Calleville, Cantiers, Condé-sur-Iton, Coudray, Ecaquelon, Ecouis, Epieds, Eturqueray, Evreux, Gasny, Gisors, Giverville, Grandvilliers, Guernanville, Guichainville, Guitry, Helenvilliers, Houlbec-près-le-Gros-Theil, La Houssaye, Louviers, Marcouville, Montfort-sur-Risle, Le Plessis-Rohan, Quatremare, Romilly-la-Puthenaye, Saint-Germain-de-Pasquier, Saint-Germain-la-Campagne, Saint-Léger-le-Gauthier, Saussay-la-Campagne, Travailles près Harquency, Le Troncq, Vernon.
Département de Seine-Maritime
Amfreville-la-Mi-Voie, Ancourt, Angiens,
Anneville-sur-Seine, Arques, Baillolet, Beaussault, Belleville-en-Caux,
Belmesnil, Biennais, Blosseville-sur-Mer, La Bouille, Cailly,
Calleville-les-Deux-Eglises, Caudebec-en-Caux, Clais, Clères, Cliponville,
Criqueboeuf-en-Caux, Dieppe, Doudeauville, Douvrend, Ecreteville-les-Baons,
Ectot-les-Baons, Elbeuf, Elbeuf-en-Bray, Ermenouville, Esteteville,
Etouteville, Flamanville, Gancourt, Grainville-la-Teinturière, Le Havre,
Hermanville, La Houssaye, Limésy, Luneray, Melleville, Mesnil-Durdent,
Mesnil-Panneville, Montivilliers, Neufbosc, Neuchâtel-en-Bray,
Notre-Dame-de-Gravanchon, Ouville-l’Abbaye, Pommereux, Rebets, Robertot,
Rocquemont, Rolleville, Rouelles, Rouen, Sainte-Marguerite-les-Aumale,
Saint-Mivhel-d’Halescourt, Saint-Ouen-le-Mauger, Sassetot-le-Mal-Gardé,
Sommery, Touffreville, Vanerville, Yverville, Ypreville-Biville.
[1] - B. N. LAT. 4991 A, Aimery de Peyrac,
« chronique universelle, folios 102 v°, 105, 116-122, 140 et 170 v°.
[2] - Ordonnances
des rois de la troisième race, t. CXIII, contenant les ordonnances rendues
depuis le mois d’avril 1474 jusqu’au mois de mars 1481, par le marquis de
Pastouret, Imprimerie royale, Paris, 1818, p. 744-749.
[3] - Grégoire de Tours, Historia libri deum, V, 38 ; Ch. SETTIPANI (auteur), P. VAN
KERREBROUCK (auteur), K. FERDINAND WERNER (préface), La préhistoire des capétiens,
481-987, première partie : Mérovingiens, Carolingiens et Robertiens, Broché, 1993, p.79.
[4] - Elle est la fille d'Henri Ier
l'Oiseleur, roi de Germanie et de Mathilde de Reingelheim (sainte Mathilde)
et la sœur de l'empereur Otton Ier du Saint-Empire. Gerberge épouse en 928/929 Gislebert, duc de Lotharingie († 939), et lui donne quatre enfants : Henri, duc titulaire de
Lotharingie, mort vers 944 ; Hedwige, promise un temps à Berthold de Bavière ;
Alberade, mariée à Renaud, comte de Roucy ; Gerberge,
mariée avec Albert Ier le Pieux († 987), comte de Vermandois. Le duc Gislebert, après une bataille perdue à Andernach en octobre 939 contre
l'empereur Othon Ier, se noie dans le Rhin alors qu'il
tente de fuir. La duchesse Gerberge se remarie fin 939 avec le roi de France Louis IV d'Outremer (921 † 954).
Elle donne sept enfants à son nouvel époux, dont Lothaire (941 † 986), son
successeur sur le trône de France.
Elle est inhumée dans le chœur de l'abbaye Saint-Remi de Reims.
[5] - K. F. WERNER, De autor der Vita sanctae Chrothildis, Mittelateinisches
Jarhbuch-Band, 24 : 25, 1989-1990, pp. 517-551.
[6] - R. FOLZ, Les saintes reines en Occident (VIe-XIIIesiècles),
Subsidia hagiographica, n° 76, Société des Bollandistes, Bruxelles, 1992, p.
9-13.
[7] - Dom Jacques DUBOIS, Laure BEAUMONT
-MAILLET, Sainte Geneviève de Paris. La
vie - le culte - l'art, Paris, Beauchesne, 1982, in-8°, 168 p., ill.
[8] - Fédération des sociétés d’histoire et
d’archéologie de l’Aisne, Abbayes et
prieurés de l’Aisne, cartes Mémoires,
t. XXVIII, 1983, p. 15. Ghislain BRUNEL, L’implantation des ordres religieux de Prémontré,
Cîteaux et Fontevraud dans la région de Villers Cotterêts au XIIème siècle : une
réponse à de nouveaux besoins ? Fédération
des sociétés d’histoire et d’archéologie de l’Aisne, Mémoires, t. 32, 1987, p. 127-224, ici p. 209
[9] - Ibid.,
p. 212
[10] - Edith CHAUVIN-CHALEIL, L’abbaye de Valsery, Fédération des sociétés d’histoire et
d’archéologie de l’Aisne Mémoires, t.
XXIII, 1978, p. 221-237, ici p. 222.
[11] - L'abbaye
Notre-Dame de Valsery est une ancienne abbaye située à Cœuvres-et-Valsery (Aisne), sise à 9 km de
Vivières. Elle a été fondée 1124 par des chanoines prémontrés,
auprès de la Forêt de Retz qu'ils ont sans doute contribuée
à défricher.
[12] - Lettre
pastorale du Cardinal Langénieux, donnée à Reims, le 6 avril 1896.
[13] - Verrière de la
vie de sainte Clotilde, offerte par d'Alexandre La Vache, seigneur de Radeval
et par Marguerite Hallé d'Orgeville, son épouse, vers 1540-1550. Restauration
et compléments de Didron en 1866.
[14] - Archives Seine-Maritime G1170.
[15] - Voir notre chapitre « Les origines des
fleurs de lis », in Clovis ou le
combat de Gloire, PSR, La-Roche-Rigault, 1996, p. 295-321.
[16] - Je remercie, M. Yves Gagneux,
conservateur du Service des objets d’art
des Eglises à la mairie de Paris, qui a bien voulu me transmettre cette
information, dans une lettre du 9 juillet 1996.